Quand toute une famille part au cambodge... Des préparatifs au carnet de voyage. Et bien plus encore...
vendredi 29 octobre 2010
Le guide du Cambodge Lonely planet
C'est plein d'infos bien pratiques, de cartes, de bons plans, d'adresses pour préparer le voyage, faire son itinéraire et découvrir le pays, province par province...
Un air de famille
Khmers de l'étranger : la nouvelle génération de retour ?
Khmers de l'étranger : la nouvelle génération de retour ?
Par Barbara Delbrouck
10-09-2009
Pendant près de trois décennies, des Cambodgiens ont fui leur pays. Mais depuis plusieurs années, un mouvement inverse semble s'être enclenché. Les enfants de ces exilés ont grandi. Maintenant adultes, certains décident de retourner au Cambodge pour travailler, lancer un projet ou créer leur entreprise. Qui sont ces Khmers venus d'ailleurs et que cherchent-ils sur la terre de leurs ancêtres ? Ka-set est allé à leur rencontre, dans une enquête publiée en deux volets.
"Happés" par le Cambodge
Les histoires de "Khmers rapat", surnom donné aux "Khmers rapatriés" par certains Français d'origine cambodgienne, commencent souvent par un voyage. Ils ont découvert ou redécouvert le pays de leurs parents et ont décidé d'y rester. Temporairement ou pas. C'est le cas d'Auray Aun, directeur régional adjoint de "Aide et Action", une ONG française spécialisée dans l'éducation. Il y a huit ans, il quitte un poste bien rémunéré dans une société publicitaire à Paris pour monter un projet aventureux avec un ami : faire le tour de l'Asie et de l'Amérique latine, à la rencontre d'ONG actives dans l'éducation. Le pays du sourire constitue une des étapes de leur périple. "C'était un moment très fort, se souvient Auray. J'ai été accueilli par ma famille. Et j'ai vraiment aimé ce que j'ai vu. Les gens, le pays… C'était magique. A tel point que mon compagnon de voyage a eu peur que je reste ! On a bien sûr terminé le voyage ensemble, mais à la fin de mon séjour au Cambodge, il était clair que je reviendrais y travailler."
C'est aussi le cas de Rapytha, la quarantaine, franco-khmère, qui à la suite d'un voyage dans la région, dont à peine deux jours au Cambodge, a décidé de "venir tenter le coup" ici avec son mari, français, et leurs deux enfants. Elle travaille à l'aéroport de Phnom Penh depuis quatre ans. "Maintenant, on est là pour s'installer. On ne se demande plus chaque année si on va repartir".
Franck Touch, de mère française et de père cambodgien, est lui revenu sur la terre de ses ancêtres il y a sept ans et a créé la société d'informatique Khmer Dev à Phnom Penh. Lors d'un voyage touristique avec sa mère en 2001, celle-ci entame des recherches sur la famille de son défunt mari, dont ils n'ont plus jamais eu de nouvelles depuis qu'ils ont fui le Cambodge en 1971. Munis de photos, ils partent dans sa province d'origine, Kompong Thom. Franck y retrouve son grand-père et découvre l'existence de cette grande famille, dont la moitié a péri sous les Khmers Rouges. "Je m'en rappellerai toujours, raconte-t-il avec émotion. Cela a déclenché quelque chose, ça m'a fait un déclic par rapport au Cambodge.". Dans l'avion pour rentrer en France, il décide qu'il doit "faire quelque chose au pays". A l'époque directeur d'une société d'informatique en France, il donne sa démission à peine deux mois après son retour. "Peu importe le boulot. Ce qui comptait, c'était le pays. Je voulais revenir au Cambodge coûte que coûte." Franck y sera finalement envoyé par ses patrons pour lancer une société de sous-traitance.
Et puis il y a ceux qui sont simplement restés plus longtemps que prévu, comme Putsata, journaliste khméro-américaine : "Je m'étais toujours dit que pour mes 30 ans, je reviendrais dans le pays où je suis née. Je ne savais pas comment, mais je savais que je devais trouver un moyen." Et en effet, alors qu'elle souffle ses trente bougies, elle obtient une bourse d'un an pour effectuer des recherches à l'étranger. Une année pendant laquelle elle renoue avec sa famille restée au Cambodge et enquête sur les problèmes d'éviction foncière dans la province du Ratanakiri. "Je suis tout simplement tombée amoureuse du pays, raconte avec entrain la journaliste. Il y a quelque chose qui vous accroche ici. Peut-être est-ce le fait que c'est un beau pays avec une histoire sombre, peut-être est-ce le paysage… Peut-être est-ce un peu tout, mais en tout cas j'ai été happée et quatre ans et demi plus tard, je suis toujours là."
Un rôle pour les Khmers de l'étranger ?
"Il y a différents types de diaspora, estime Auray Aun. Certains sont à la recherche d'une identité, je pense que c'est commun à tous ou la plupart, d'autres viennent travailler avec déjà quelque chose en tête, un projet de vie ou autre, et puis il y a ceux qui se sentent rejetés en France et viennent chercher quelque chose ici."
"Je voulais être confrontée à mon côté khmer et découvrir cette culture, confirme Putsata. Pour la première fois, je fais face à des questions d'identité que je n'avais pas aux Etats-Unis. Enfin, on en a toujours un peu mais ici on y est confronté tous les jours. On est forcé de les gérer et de se demander : ce matin, est-ce que je suis khmère ou américaine ?"
C'est aussi à la découverte de son identité et du pays qu'il a quitté dix ans plus tôt que Rattana est revenu. Arrivé aux Etats-Unis à l'âge de 13 ans, il a dû batailler ferme pour rattraper son retard scolaire après six ans sans école. "Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour prouver que je n'étais pas stupide", confie ce "self made man", un brin de fierté dans la voix. En 1990, fraîchement diplômé d'une grande école d'ingénieur mécanique, il retourne pour la première fois au Cambodge où il décide finalement de s'installer. "Il y avait tant à faire ici. J'ai senti que quoi que je ferais, ce serait toujours au bénéfice de la société. […] L'idée est de partager ce que je sais afin, j'espère, de permettre à certaines personnes de moins souffrir."
Pour Putsata, il s'agit carrément d'assumer une part de "responsabilité". "Nous avons été assez chanceux pour pouvoir nous échapper, alors il devrait y avoir une espère de rendu à la communauté. C'est notre pays après tout !", lance-t-elle, enthousiaste. Une vision que partage Kosal, Khmer de Belgique. "Tous les jeunes de la génération 1979-1980 ont un rôle très important à jouer pour le Cambodge, estime le jeune homme plein d'idéal. Nous sommes nés après la guerre, nous avons eu l'occasion d'aller à l'école, donc ce sont des gens comme nous qui devraient retourner et donner un coup de pouce." Kosal a créé avec des cousins une association d'aide aux orphelins du Cambodge et projette de revenir s'y installer dès qu'il aura les fonds nécessaires.
En entendant ces propos exaltés, Hisham Mousar a les cheveux qui se hérissent sur la tête. "Le mode indicatif en droit est un devoir. Ils [les jeunes Khmers de l'étranger] 'n'ont' pas un rôle à jouer, mais ils 'peuvent avoir' un rôle à jouer, s'emporte le juriste, chef de projet à l'Université royale de droit et de sciences économiques. C'est vraiment difficile de se trouver dans la tourmente identitaire. Il ne faut pas créer le sentiment que les jeunes Franco-cambodgiens doivent absolument retourner au Cambodge, parce que ça risque de les déraciner. Car pour eux, le Cambodge est un pays étranger. Leur pays, c'est la France", martèle Hisham. Selon lui, si les Franco-khmers "ont un rôle à jouer" au Cambodge, c'est essentiellement en tant que Français, tout en ayant l'avantage d'être les mieux placés pour comprendre la société cambodgienne, s'ils le souhaitent.
Gare au néocolonialisme...
Cette notion de "rôle", Davy Chou estime lui aussi qu'il faut la "prendre avec des pincettes" pour ne pas tomber dans "une espèce de colonialisme". "J'ai l'impression que les gens arrivent avec une certaine hauteur, regrette le jeune cinéaste franco-khmer. Il y a une figure du sauveur que je n'aime pas trop." C'est pourquoi Davy tient à garder en tête qu'il est là autant pour apprendre que pour donner. "Ca me sert moralement de savoir qu'il y a un échange", confie-t-il. Une optique que partage Rapytha, qui essaie d'inculquer l'esprit d'initiative au sein de son équipe de travail à l'aéroport, en soulignant que les étrangers ont eux aussi des choses à apprendre.
Yoti Mousar a pour sa part trouvé au Cambodge une place dans la société qu'il cherchait en vain dans son pays d'accueil. Arrivé en France en 1981 à l'âge de 3 ans, Yoti a grandi dans les banlieues, entouré d'étrangers, comme lui. "J'étais en manque de repères total. Je ne me sentais pas vraiment français. On ne voyait que des étrangers. Pas de quoi forger une identité", témoigne-t-il. Après des années de questionnement identitaire en France, il décide de s'installer au Cambodge. Aujourd'hui responsable informatique au Centre culturel français de Phnom Penh, Joty a été élu délégué des cadres. Mais il relaie les demandes de tous les employés à la direction, notamment les Cambodgiens qui ont parfois plus de mal à se faire comprendre. "Ici, j'ai la chance de côtoyer un peu tous les milieux sociaux. Ce qui est plus difficile en France. Donc j'ai trouvé un retour vers mes racines et l'émancipation à la fois. C'est le paradoxe de mon retour".
Du manque d'intérêt à la passion pour le pays : un symptôme post traumatique?
S'il leur suffit parfois de quelques jours dans le pays pour décider de s'y installer, l'idée même d'un retour peut parfois prendre des années à mûrir dans l'esprit des Khmers de l'étranger. "Je ne me suis jamais intéressé au Cambodge de ma vie", avoue Davy, revenu pour un projet d'un an. "Jusqu'à mes 22 ans, je n'ai presque jamais posé de questions à mes parents sur le passé. Ce qui aujourd'hui me paraît dingue. Inconsciemment, il doit y avoir eu un blocage." Interrogé quatre mois après son arrivée, Davy sait déjà que son histoire avec le Cambodge n'est pas terminée : "Je sais que ma vie en sera changée. Et c'est quelque chose que je n'avais pas prévu. Pourtant c'était évident. Un an dans le pays de tes parents alors que tu n'as jamais quitté la France…"
Hisham Mousar a lui entretenu une relation d'amour-haine avec son pays d'origine avant de parvenir à trouver un équilibre. Jusqu'à ses 19 ans, il déteste tout ce qui est asiatique. "C'était comme si c'était de la démarque !", avoue-t-il. Quand il revient pour la première fois au Cambodge en 1994, il tombe pourtant complètement amoureux du pays... et d'une de ses habitantes, qu'il épouse. De la diabolisation, il passe alors à une période d'idéalisation de son pays d'origine. "J'étais dans une espèce de terrorisme culturel où je ne pensais que par extrême", analyse le trentenaire, à la fois effaré et amusé. De retour en France avec son épouse, il intègre, parallèlement à ses cours de droit, l'Institut national de langues et de civilisations orientales (Inalco), où il apprend la langue et les bases de la civilisation khmères. Il se lance à corps perdu dans la vie associative, estimant que la jeunesse cambodgienne manque de représentation en France. Avec d'autres Franco-khmers (il préfère personnellement employer le terme de "Français d’origine cambodgienne"), il participe notamment à la création de l'Union des étudiants de la section cambodgienne de l'Inalco, de l'organisation Asie-Aide à la jeunesse, du magazine "L'Ecrit d'Angkor" et du site communautaire "Les Jeunes Khmers". Après trois ans de tourmente identitaire, c'est l'écriture de ses réflexions qui permettra à Hisham de trouver son équilibre. "Ce qui m'a guéri, c'est de me dire que je n'avais qu'un seul réceptacle, un seul cerveau, et qu'il avait été forgé en France, donc j'étais français, conclut-il. A partir de là, je ne me suis plus posé la question de mon identité."
Dans un texte de neuf pages, le juriste tente de démontrer que la jeunesse française d'origine cambodgienne est essentiellement française. Selon lui, si celle-ci ne prend pas réellement conscience de son identité cambodgienne, c'est parce qu'elle "manque d'attractivité" à le faire. D'abord à cause du passé dramatique du pays, qui a brisé le transport de la mémoire. "On ne peut pas être attiré par quelque chose que l'on ne connaît pas voire que l'on ne comprend pas", argumente-t-il. En outre, l'état de développement du pays provoquerait un sentiment d'infériorité chez les jeunes Khmers de France. Or, la mise en avant de leur identité française, leur "intelligence nationale française", leur permettrait selon lui au contraire de prendre leur revanche sur cette infériorité qu'ils doivent injustement porter.
Un retour difficile pour la famille
Pour les parents, il n'est pas aisé de comprendre pourquoi leurs enfants veulent retourner dans le pays qu'ils ont eu tant de mal à fuir. Beaucoup ne sont jamais revenus et gardent une vision du pays parfois en complet décalage. C'est ce qu'a ressenti Putsata lorsqu'elle est retournée au Cambodge pour la première fois. "Ca n'était pas du tout cet endroit dangereux qu'ils [mes parents] m'avaient décrit ! La guerre est finie depuis longtemps maintenant, mais c'est la dernière image qu'ils ont gardée du Cambodge. Donc ils associeront toujours le pays à la guerre et à la souffrance."
D'autres, comme les parents de Davy, trouvent que c'est une perte de temps que leur enfant n'a pas à "s'infliger". "Elle [ma mère] avait l'impression que c'était une dette que je leur payais, une sorte de retour d'ascenseur parce qu'ils m'ont éduqué", se souvient-il toujours avec étonnement.
Le fait que leur enfant s'installe au Cambodge est paradoxalement souvent l'occasion pour les parents de dépasser leur traumatisme et d'oser pour la première fois remettre les pieds dans leur pays d'origine, comme ce fut le cas pour les parents de Putsata. "Ils commencent à comprendre et à renouer avec le pays comme ils ne l'auraient peut-être jamais fait si je n'étais pas venue ici. Je pense qu'ils avaient besoin d'une raison pour venir."
Le retour n'est jamais facile pour les exilés qui découvrent un pays complètement différent de celui qu'ils ont quitté. Certes bien plus sûr qu'ils ne l'avaient imaginé, mais qui n'a plus rien à voir avec la terre de leur enfance. Certains reviennent également désabusés par l'état du pays et auront tendance à "noircir le tableau". Davy a pu observer ces réactions chez ses parents lors de leur premier retour. De ses trois mois au pays, son père ne retiendra que l'extrême pauvreté ambiante mais proposera ensuite d'y retourner en famille. Sa mère a elle au contraire presque trop bien réagi. "Elle me racontait plein de choses, elle était émerveillée par tout, elle parlait à tous les gens dans la rue…", se souvient Davy. Au troisième jour, elle accuse pourtant le contrecoup et confie à son fils qu'elle a l'impression d'avoir "surjoué son euphorie" et qu'elle ne "trouve plus sa place". Il lui faudra trois semaines pour retrouver un regain d'optimisme.
Différents domaines d'action, une même vision
Auray Aun est un de ces nombreux Khmers de l'étranger qui ont décidé de s'impliquer dans le secteur des ONG. "Je voulais participer au mouvement de développement mais ça peut être d'une façon ou d'une autre, s'empresse-t-il de préciser. Mon frère voudrait revenir pour développer un business et contribuer lui aussi au développement économique."
Un point de vue que ne contredira pas Franck Touch, entrepreneur, qui regrette justement que les Khmers de l'étranger aient trop tendance à se diriger vers le travail associatif. Selon lui, le fait qu'il y ait tant d'ONG au Cambodge crée une situation à double tranchant où les Cambodgiens préféreront obtenir un emploi dans une organisation, perçu comme mieux payé et moins intensif, plutôt que dans le privé. Un calcul qui se révèle stérile, à terme, estime l'entrepreneur : "Ce n'est pas bon du tout pour le Cambodge. Le mieux, c'est de tirer le pays vers le haut : mettre des atouts dans l'économie, donner du travail aux jeunes cadres, les accompagner, les former, créer une élite !" Un conseil que suivra Kosal, qui souhaite former des soudeurs de qualité lorsqu'il lancera sa propre entreprise de construction métallique.
Parallèlement à leur travail, certains s'investissent dans des activités leur permettant aussi de partager leurs compétences. Ainsi Rattana a lancé une exploitation agricole familiale avec comme défi de "montrer l'exemple" et de prouver que ces Cambodgiens sont capables de "faire de l'argent avec l'agriculture", à l'instar d'autres pays de la région.
Le bon moment pour revenir ?
Franck n'hésite pas à conseiller aux Khmers de l'étranger de revenir. Selon lui, c'est le bon moment car le pays est sécurisé depuis une dizaine d'années et les besoins en ressources humaines, tirés par la croissance économique, sont énormes. "C'est plus facile de sortir de la crise ici", veut croire ce chef d'entreprise.
Les Khmers de l'étranger ne reviendraient d'ailleurs pas à leurs origines sans un avantage économique à le faire, estime Chhaya, directeur de l'ONG Khmer Institute of Democracy (KID). "Il y a seulement une poignée de gens qui viennent en disant qu'ils seront satisfaits de gagner juste de quoi vivre", affirme ce Khmer d'Australie. Joty, dont le salaire est supérieur à celui d'un salarié local mais bien inférieur à celui de salariés expatriés, reconnaît que les avantages matériels ne sont pas négligeables : "Ici, au Cambodge, je loue un appartement de 100 m2. Jamais je n'aurais pu rêver de ça en France".
La belle vie ? Rapytha tient à mettre en garde les Khmers de l'étranger contre cette illusion d'une vie facile au Cambodge. A trop se focaliser sur ce confort matériel, certains risquent de se retrouver "piégés", renonçant à un retour en France, non par attachement au Cambodge mais par crainte de ne plus retrouver un niveau de vie identique. Une mise en garde que souhaite également faire Frank Touch, qui encourage les Khmers de l'étranger à revenir au Cambodge, mais "seulement s'ils aiment vraiment le pays. Pas juste parce qu'ils en ont marre de la France ou des Etats-Unis"...
Par Barbara Delbrouck
10-09-2009
Pendant près de trois décennies, des Cambodgiens ont fui leur pays. Mais depuis plusieurs années, un mouvement inverse semble s'être enclenché. Les enfants de ces exilés ont grandi. Maintenant adultes, certains décident de retourner au Cambodge pour travailler, lancer un projet ou créer leur entreprise. Qui sont ces Khmers venus d'ailleurs et que cherchent-ils sur la terre de leurs ancêtres ? Ka-set est allé à leur rencontre, dans une enquête publiée en deux volets.
"Happés" par le Cambodge
Les histoires de "Khmers rapat", surnom donné aux "Khmers rapatriés" par certains Français d'origine cambodgienne, commencent souvent par un voyage. Ils ont découvert ou redécouvert le pays de leurs parents et ont décidé d'y rester. Temporairement ou pas. C'est le cas d'Auray Aun, directeur régional adjoint de "Aide et Action", une ONG française spécialisée dans l'éducation. Il y a huit ans, il quitte un poste bien rémunéré dans une société publicitaire à Paris pour monter un projet aventureux avec un ami : faire le tour de l'Asie et de l'Amérique latine, à la rencontre d'ONG actives dans l'éducation. Le pays du sourire constitue une des étapes de leur périple. "C'était un moment très fort, se souvient Auray. J'ai été accueilli par ma famille. Et j'ai vraiment aimé ce que j'ai vu. Les gens, le pays… C'était magique. A tel point que mon compagnon de voyage a eu peur que je reste ! On a bien sûr terminé le voyage ensemble, mais à la fin de mon séjour au Cambodge, il était clair que je reviendrais y travailler."
C'est aussi le cas de Rapytha, la quarantaine, franco-khmère, qui à la suite d'un voyage dans la région, dont à peine deux jours au Cambodge, a décidé de "venir tenter le coup" ici avec son mari, français, et leurs deux enfants. Elle travaille à l'aéroport de Phnom Penh depuis quatre ans. "Maintenant, on est là pour s'installer. On ne se demande plus chaque année si on va repartir".
Franck Touch, de mère française et de père cambodgien, est lui revenu sur la terre de ses ancêtres il y a sept ans et a créé la société d'informatique Khmer Dev à Phnom Penh. Lors d'un voyage touristique avec sa mère en 2001, celle-ci entame des recherches sur la famille de son défunt mari, dont ils n'ont plus jamais eu de nouvelles depuis qu'ils ont fui le Cambodge en 1971. Munis de photos, ils partent dans sa province d'origine, Kompong Thom. Franck y retrouve son grand-père et découvre l'existence de cette grande famille, dont la moitié a péri sous les Khmers Rouges. "Je m'en rappellerai toujours, raconte-t-il avec émotion. Cela a déclenché quelque chose, ça m'a fait un déclic par rapport au Cambodge.". Dans l'avion pour rentrer en France, il décide qu'il doit "faire quelque chose au pays". A l'époque directeur d'une société d'informatique en France, il donne sa démission à peine deux mois après son retour. "Peu importe le boulot. Ce qui comptait, c'était le pays. Je voulais revenir au Cambodge coûte que coûte." Franck y sera finalement envoyé par ses patrons pour lancer une société de sous-traitance.
Et puis il y a ceux qui sont simplement restés plus longtemps que prévu, comme Putsata, journaliste khméro-américaine : "Je m'étais toujours dit que pour mes 30 ans, je reviendrais dans le pays où je suis née. Je ne savais pas comment, mais je savais que je devais trouver un moyen." Et en effet, alors qu'elle souffle ses trente bougies, elle obtient une bourse d'un an pour effectuer des recherches à l'étranger. Une année pendant laquelle elle renoue avec sa famille restée au Cambodge et enquête sur les problèmes d'éviction foncière dans la province du Ratanakiri. "Je suis tout simplement tombée amoureuse du pays, raconte avec entrain la journaliste. Il y a quelque chose qui vous accroche ici. Peut-être est-ce le fait que c'est un beau pays avec une histoire sombre, peut-être est-ce le paysage… Peut-être est-ce un peu tout, mais en tout cas j'ai été happée et quatre ans et demi plus tard, je suis toujours là."
Un rôle pour les Khmers de l'étranger ?
"Il y a différents types de diaspora, estime Auray Aun. Certains sont à la recherche d'une identité, je pense que c'est commun à tous ou la plupart, d'autres viennent travailler avec déjà quelque chose en tête, un projet de vie ou autre, et puis il y a ceux qui se sentent rejetés en France et viennent chercher quelque chose ici."
"Je voulais être confrontée à mon côté khmer et découvrir cette culture, confirme Putsata. Pour la première fois, je fais face à des questions d'identité que je n'avais pas aux Etats-Unis. Enfin, on en a toujours un peu mais ici on y est confronté tous les jours. On est forcé de les gérer et de se demander : ce matin, est-ce que je suis khmère ou américaine ?"
C'est aussi à la découverte de son identité et du pays qu'il a quitté dix ans plus tôt que Rattana est revenu. Arrivé aux Etats-Unis à l'âge de 13 ans, il a dû batailler ferme pour rattraper son retard scolaire après six ans sans école. "Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour prouver que je n'étais pas stupide", confie ce "self made man", un brin de fierté dans la voix. En 1990, fraîchement diplômé d'une grande école d'ingénieur mécanique, il retourne pour la première fois au Cambodge où il décide finalement de s'installer. "Il y avait tant à faire ici. J'ai senti que quoi que je ferais, ce serait toujours au bénéfice de la société. […] L'idée est de partager ce que je sais afin, j'espère, de permettre à certaines personnes de moins souffrir."
Pour Putsata, il s'agit carrément d'assumer une part de "responsabilité". "Nous avons été assez chanceux pour pouvoir nous échapper, alors il devrait y avoir une espère de rendu à la communauté. C'est notre pays après tout !", lance-t-elle, enthousiaste. Une vision que partage Kosal, Khmer de Belgique. "Tous les jeunes de la génération 1979-1980 ont un rôle très important à jouer pour le Cambodge, estime le jeune homme plein d'idéal. Nous sommes nés après la guerre, nous avons eu l'occasion d'aller à l'école, donc ce sont des gens comme nous qui devraient retourner et donner un coup de pouce." Kosal a créé avec des cousins une association d'aide aux orphelins du Cambodge et projette de revenir s'y installer dès qu'il aura les fonds nécessaires.
En entendant ces propos exaltés, Hisham Mousar a les cheveux qui se hérissent sur la tête. "Le mode indicatif en droit est un devoir. Ils [les jeunes Khmers de l'étranger] 'n'ont' pas un rôle à jouer, mais ils 'peuvent avoir' un rôle à jouer, s'emporte le juriste, chef de projet à l'Université royale de droit et de sciences économiques. C'est vraiment difficile de se trouver dans la tourmente identitaire. Il ne faut pas créer le sentiment que les jeunes Franco-cambodgiens doivent absolument retourner au Cambodge, parce que ça risque de les déraciner. Car pour eux, le Cambodge est un pays étranger. Leur pays, c'est la France", martèle Hisham. Selon lui, si les Franco-khmers "ont un rôle à jouer" au Cambodge, c'est essentiellement en tant que Français, tout en ayant l'avantage d'être les mieux placés pour comprendre la société cambodgienne, s'ils le souhaitent.
Gare au néocolonialisme...
Cette notion de "rôle", Davy Chou estime lui aussi qu'il faut la "prendre avec des pincettes" pour ne pas tomber dans "une espèce de colonialisme". "J'ai l'impression que les gens arrivent avec une certaine hauteur, regrette le jeune cinéaste franco-khmer. Il y a une figure du sauveur que je n'aime pas trop." C'est pourquoi Davy tient à garder en tête qu'il est là autant pour apprendre que pour donner. "Ca me sert moralement de savoir qu'il y a un échange", confie-t-il. Une optique que partage Rapytha, qui essaie d'inculquer l'esprit d'initiative au sein de son équipe de travail à l'aéroport, en soulignant que les étrangers ont eux aussi des choses à apprendre.
Yoti Mousar a pour sa part trouvé au Cambodge une place dans la société qu'il cherchait en vain dans son pays d'accueil. Arrivé en France en 1981 à l'âge de 3 ans, Yoti a grandi dans les banlieues, entouré d'étrangers, comme lui. "J'étais en manque de repères total. Je ne me sentais pas vraiment français. On ne voyait que des étrangers. Pas de quoi forger une identité", témoigne-t-il. Après des années de questionnement identitaire en France, il décide de s'installer au Cambodge. Aujourd'hui responsable informatique au Centre culturel français de Phnom Penh, Joty a été élu délégué des cadres. Mais il relaie les demandes de tous les employés à la direction, notamment les Cambodgiens qui ont parfois plus de mal à se faire comprendre. "Ici, j'ai la chance de côtoyer un peu tous les milieux sociaux. Ce qui est plus difficile en France. Donc j'ai trouvé un retour vers mes racines et l'émancipation à la fois. C'est le paradoxe de mon retour".
Du manque d'intérêt à la passion pour le pays : un symptôme post traumatique?
S'il leur suffit parfois de quelques jours dans le pays pour décider de s'y installer, l'idée même d'un retour peut parfois prendre des années à mûrir dans l'esprit des Khmers de l'étranger. "Je ne me suis jamais intéressé au Cambodge de ma vie", avoue Davy, revenu pour un projet d'un an. "Jusqu'à mes 22 ans, je n'ai presque jamais posé de questions à mes parents sur le passé. Ce qui aujourd'hui me paraît dingue. Inconsciemment, il doit y avoir eu un blocage." Interrogé quatre mois après son arrivée, Davy sait déjà que son histoire avec le Cambodge n'est pas terminée : "Je sais que ma vie en sera changée. Et c'est quelque chose que je n'avais pas prévu. Pourtant c'était évident. Un an dans le pays de tes parents alors que tu n'as jamais quitté la France…"
Hisham Mousar a lui entretenu une relation d'amour-haine avec son pays d'origine avant de parvenir à trouver un équilibre. Jusqu'à ses 19 ans, il déteste tout ce qui est asiatique. "C'était comme si c'était de la démarque !", avoue-t-il. Quand il revient pour la première fois au Cambodge en 1994, il tombe pourtant complètement amoureux du pays... et d'une de ses habitantes, qu'il épouse. De la diabolisation, il passe alors à une période d'idéalisation de son pays d'origine. "J'étais dans une espèce de terrorisme culturel où je ne pensais que par extrême", analyse le trentenaire, à la fois effaré et amusé. De retour en France avec son épouse, il intègre, parallèlement à ses cours de droit, l'Institut national de langues et de civilisations orientales (Inalco), où il apprend la langue et les bases de la civilisation khmères. Il se lance à corps perdu dans la vie associative, estimant que la jeunesse cambodgienne manque de représentation en France. Avec d'autres Franco-khmers (il préfère personnellement employer le terme de "Français d’origine cambodgienne"), il participe notamment à la création de l'Union des étudiants de la section cambodgienne de l'Inalco, de l'organisation Asie-Aide à la jeunesse, du magazine "L'Ecrit d'Angkor" et du site communautaire "Les Jeunes Khmers". Après trois ans de tourmente identitaire, c'est l'écriture de ses réflexions qui permettra à Hisham de trouver son équilibre. "Ce qui m'a guéri, c'est de me dire que je n'avais qu'un seul réceptacle, un seul cerveau, et qu'il avait été forgé en France, donc j'étais français, conclut-il. A partir de là, je ne me suis plus posé la question de mon identité."
Dans un texte de neuf pages, le juriste tente de démontrer que la jeunesse française d'origine cambodgienne est essentiellement française. Selon lui, si celle-ci ne prend pas réellement conscience de son identité cambodgienne, c'est parce qu'elle "manque d'attractivité" à le faire. D'abord à cause du passé dramatique du pays, qui a brisé le transport de la mémoire. "On ne peut pas être attiré par quelque chose que l'on ne connaît pas voire que l'on ne comprend pas", argumente-t-il. En outre, l'état de développement du pays provoquerait un sentiment d'infériorité chez les jeunes Khmers de France. Or, la mise en avant de leur identité française, leur "intelligence nationale française", leur permettrait selon lui au contraire de prendre leur revanche sur cette infériorité qu'ils doivent injustement porter.
Un retour difficile pour la famille
Pour les parents, il n'est pas aisé de comprendre pourquoi leurs enfants veulent retourner dans le pays qu'ils ont eu tant de mal à fuir. Beaucoup ne sont jamais revenus et gardent une vision du pays parfois en complet décalage. C'est ce qu'a ressenti Putsata lorsqu'elle est retournée au Cambodge pour la première fois. "Ca n'était pas du tout cet endroit dangereux qu'ils [mes parents] m'avaient décrit ! La guerre est finie depuis longtemps maintenant, mais c'est la dernière image qu'ils ont gardée du Cambodge. Donc ils associeront toujours le pays à la guerre et à la souffrance."
D'autres, comme les parents de Davy, trouvent que c'est une perte de temps que leur enfant n'a pas à "s'infliger". "Elle [ma mère] avait l'impression que c'était une dette que je leur payais, une sorte de retour d'ascenseur parce qu'ils m'ont éduqué", se souvient-il toujours avec étonnement.
Le fait que leur enfant s'installe au Cambodge est paradoxalement souvent l'occasion pour les parents de dépasser leur traumatisme et d'oser pour la première fois remettre les pieds dans leur pays d'origine, comme ce fut le cas pour les parents de Putsata. "Ils commencent à comprendre et à renouer avec le pays comme ils ne l'auraient peut-être jamais fait si je n'étais pas venue ici. Je pense qu'ils avaient besoin d'une raison pour venir."
Le retour n'est jamais facile pour les exilés qui découvrent un pays complètement différent de celui qu'ils ont quitté. Certes bien plus sûr qu'ils ne l'avaient imaginé, mais qui n'a plus rien à voir avec la terre de leur enfance. Certains reviennent également désabusés par l'état du pays et auront tendance à "noircir le tableau". Davy a pu observer ces réactions chez ses parents lors de leur premier retour. De ses trois mois au pays, son père ne retiendra que l'extrême pauvreté ambiante mais proposera ensuite d'y retourner en famille. Sa mère a elle au contraire presque trop bien réagi. "Elle me racontait plein de choses, elle était émerveillée par tout, elle parlait à tous les gens dans la rue…", se souvient Davy. Au troisième jour, elle accuse pourtant le contrecoup et confie à son fils qu'elle a l'impression d'avoir "surjoué son euphorie" et qu'elle ne "trouve plus sa place". Il lui faudra trois semaines pour retrouver un regain d'optimisme.
Différents domaines d'action, une même vision
Auray Aun est un de ces nombreux Khmers de l'étranger qui ont décidé de s'impliquer dans le secteur des ONG. "Je voulais participer au mouvement de développement mais ça peut être d'une façon ou d'une autre, s'empresse-t-il de préciser. Mon frère voudrait revenir pour développer un business et contribuer lui aussi au développement économique."
Un point de vue que ne contredira pas Franck Touch, entrepreneur, qui regrette justement que les Khmers de l'étranger aient trop tendance à se diriger vers le travail associatif. Selon lui, le fait qu'il y ait tant d'ONG au Cambodge crée une situation à double tranchant où les Cambodgiens préféreront obtenir un emploi dans une organisation, perçu comme mieux payé et moins intensif, plutôt que dans le privé. Un calcul qui se révèle stérile, à terme, estime l'entrepreneur : "Ce n'est pas bon du tout pour le Cambodge. Le mieux, c'est de tirer le pays vers le haut : mettre des atouts dans l'économie, donner du travail aux jeunes cadres, les accompagner, les former, créer une élite !" Un conseil que suivra Kosal, qui souhaite former des soudeurs de qualité lorsqu'il lancera sa propre entreprise de construction métallique.
Parallèlement à leur travail, certains s'investissent dans des activités leur permettant aussi de partager leurs compétences. Ainsi Rattana a lancé une exploitation agricole familiale avec comme défi de "montrer l'exemple" et de prouver que ces Cambodgiens sont capables de "faire de l'argent avec l'agriculture", à l'instar d'autres pays de la région.
Le bon moment pour revenir ?
Franck n'hésite pas à conseiller aux Khmers de l'étranger de revenir. Selon lui, c'est le bon moment car le pays est sécurisé depuis une dizaine d'années et les besoins en ressources humaines, tirés par la croissance économique, sont énormes. "C'est plus facile de sortir de la crise ici", veut croire ce chef d'entreprise.
Les Khmers de l'étranger ne reviendraient d'ailleurs pas à leurs origines sans un avantage économique à le faire, estime Chhaya, directeur de l'ONG Khmer Institute of Democracy (KID). "Il y a seulement une poignée de gens qui viennent en disant qu'ils seront satisfaits de gagner juste de quoi vivre", affirme ce Khmer d'Australie. Joty, dont le salaire est supérieur à celui d'un salarié local mais bien inférieur à celui de salariés expatriés, reconnaît que les avantages matériels ne sont pas négligeables : "Ici, au Cambodge, je loue un appartement de 100 m2. Jamais je n'aurais pu rêver de ça en France".
La belle vie ? Rapytha tient à mettre en garde les Khmers de l'étranger contre cette illusion d'une vie facile au Cambodge. A trop se focaliser sur ce confort matériel, certains risquent de se retrouver "piégés", renonçant à un retour en France, non par attachement au Cambodge mais par crainte de ne plus retrouver un niveau de vie identique. Une mise en garde que souhaite également faire Frank Touch, qui encourage les Khmers de l'étranger à revenir au Cambodge, mais "seulement s'ils aiment vraiment le pays. Pas juste parce qu'ils en ont marre de la France ou des Etats-Unis"...
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Etre français d'origine cambodgienne
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